« Ce qu’il y a d’écrit sur une partition, ce n’est que la direction à prendre, avec le tempo et le nombre de temps par mesure. Mais il faut être capable de transformer ces informations, de les interpréter, de leur donner une existence, tout en écoutant ce qu’il se passe autour, ce que jouent les autres. » (Billy Cobham - Batteur Magazine, juillet / août 2023)
Comment se présente une partition de batterie ? C’est une question qui revient souvent lorsqu’on voit un batteur jouer sur partition. Si tout le monde sait à peu près à quoi ressemble une partition de piano, on est plus souvent dans le flou concernant la batterie. En effet, ce n’est pas un instrument mélodique (tel qu’on l’entend communément, avec les notes do, ré, mi, fa, sol...), alors comment sont notés les éléments qui doivent être frappés ?
On imagine communément qu' 1 note jouée = 1 note écrite sur la partition. Comme vous vous en doutez après avoir lu la citation ci-dessus, ça ne fonctionne pas tout à fait de cette manière.
Des partitions de plusieurs sortes, en fonction des besoins
Vous avez probablement remarqué le pluriel du titre : "Les partitions du batteur". En effet, j'ai répertorié ici 5 sortes de partitions pour la batterie. Vous verrez que certaines d'entre elles ne correspondent pas du tout à l'idée qu'on peut s'en faire. Par exemple, il en existe où quasiment aucune note de musique n'est écrite !
Sachez que le type de partition utilisé dépend surtout du contexte dans lequel on joue. Voyons ensemble ces différentes partitions et commençons par la plus détaillée de toutes, j'ai nommé...
1 - La transcription ( = partition pédagogique)
Là, tout est écrit. Très peu de liberté d’interprétation, mais c’est préférable car ici, le but est d’apprendre de nouveaux rythmes, de nouvelles façons de jouer, en s'appuyant sur un modèle. On a donc besoin d'une notation précise. On appelle ces partitions des "transcriptions" car le jeu d'un batteur est retranscrit de la manière la plus fidèle possible. Pour l'apprentissage, donc, ce genre de partition est très utile. En dehors de ce contexte, en revanche...
Je me suis retrouvé un jour (plusieurs fois, en réalité) face à une telle partition, en répétition d'orchestre jazz. L’arrangeur avait fait du zèle en écrivant la partie de batterie en détail ou bien l’arrangement provenait d’un recueil pédagogique de musique d’ensemble. Ce n'était pas exactement des transcriptions car l'auteur de la partition n'avait pas relevé des rythmes préexistants sur un enregistrement. Si ça vous arrive, un conseil : prenez du recul par rapport à la partition car ce genre de parties de batterie, écrites par des non-batteurs, peuvent souvent se révéler de piètre qualité.
Quand elles sont proposées pour un concert, ces partitions ne représentent de toute manière que des suggestions de rythmes à jouer. Il ne faut donc pas les prendre au pied de la lettre. Les informations intéressantes à en tirer sont : le style musical et le tempo (quand ils sont indiqués !), la structure du morceau, les moments où jouer les fills (2), les nuances.
En répétition ou en concert, utiliser des transcriptions est contre-productif. Pourquoi ? Tout simplement parce que plus notre concentration est mobilisée par la lecture (sphère visuelle, traduction de l’écriture en geste musical), moins on est disponible pour l’écoute. Or...
écoute pauvre = résultat musical pauvre.
Ces partitions ultra détaillées peuvent donc se révéler très utiles dans le cadre d’un apprentissage mais peu recommandables pour jouer en live.
2 - La partition d'orchestre / partition de studio
Ainsi nommée parce qu'on la rencontre surtout quand on joue en orchestre (big band jazz par exemple) ou en session de studio, lorsque la musique est écrite par un compositeur / arrangeur.
Avec cette partition, beaucoup plus de liberté est laissée au batteur. Seules les informations à ne pas rater seront écrites. Ces informations sont : le style musical, le nombre de mesures à jouer pour chaque partie, les articulations du morceau à marquer (fills), les nuances, les figures d’ensemble ("kicks" disent les anglo-saxons, ce sont des rythmes spécifiques marqués par d’autres instruments de l’orchestre, que le batteur doit surligner en les jouant), et des infos sur l'orchestration. On part du principe que le batteur saura choisir les grooves et créer ses propres fills.
Voici une partition d'orchestre légendée pour faire apparaitre les différents types d'informations (cliquez pour agrandir) :
Remarquez qu'ici, les grooves et les fills ne sont pas écrits ; seuls les moments où les jouer ainsi que la durée (en nombre de mesures) sont indiqués. Le batteur doit alors utiliser sa connaissance des styles et son vocabulaire musical. Cette partition autorise donc des interprétations différentes (chaque batteur peut y insuffler son style, ses idées), elle est utilisable par des musiciens de tous niveaux (l'exemple montré ici est complexe mais on peut écrire des partitions très simples sur ce même principe). Moins détaillée que la transcription complète, elle permet d’avoir une meilleure connexion avec les autres instrumentistes car la lecture est allégée.
3 - La partition d'un autre instrument (ou "système D" ;-)
Il arrive - souvent - qu’il n’y ait pas de partition prévue pour le batteur parce que bon, un batteur, ça ne sait pas lire la musique, tout le monde sait ça :-/ Dans ce cas, on passe au plan B (oui, il y a toujours un plan B!) et on utilise ce qu’on a sous la main : la partition d’un autre instrument de la rythmique : basse, piano, guitare, accordéon… ou même d’un soliste, pourquoi pas : trompette, saxo, violoncelle, cornemuse… tout fait ventre pour récolter les infos qui vont nous sauver la vie ;-)
Cet exemple est un extrait d'un morceau de jazz : "Fly Me To The Moon". Nous avons le thème (les notes sur la portée), et les accords (les signes cabalistiques notés au dessus de chaque mesure). Les accords indiquent également à la personne qui improvise sur quelle trame harmonique elle va créer sa mélodie.
Rappelez-vous une des missions du batteur : souligner la structure du morceau. Si tout le monde joue bien le même morceau - on l'espère ! - la structure apparaîtra tout autant sur la partition de la basse, du piano ou du saxo. Avec la partition d’un instrument soliste, les phrases musicales apparaîtront et donc, logiquement, les moments où la musique respire (entre les phrases) : parfait si on veut ponctuer (encore les fills!) la musique. Pour le style et le tempo, il faut espérer qu’il seront indiqués sur la partoche du collègue. Dans le cas contraire, et bien… on se renseigne auprès de la personne qui nous paraît la plus fiable.
Voici un exemple de partition de basse avec en couleur les différentes indications musicales qui seront utiles au batteur (cliquez pour agrandir) :
Sur cet exemple, on a des indications de tempo ("lent", "accel..."), le déroulé du morceau, évidemment, les nuances ("f", "mf", "sfz"), le rythme que joue la basse, y compris ses respirations (les silences), les notes à marquer plus fortement, qui seront a priori doublées par la batterie (les signes ">", appelés accents) et aussi le style musical : mais oui, lisez bien le titre du morceau :-)
Bref, on a tout ce qu'il faut pour créer une super partie de batterie !
4 - La grille d'accords
J’aime bien travailler avec des grilles d’accords car ici, tous les musiciens ont la même partition. Ce qui, en toute logique, renforce la cohésion du groupe. La référence commune ici étant l’harmonie (les accords) et la structure. Ce qui demande, pour le batteur, d’avoir quelques notions d’harmonie ou au moins une "oreille harmonique" (= entendre les changements d'accords). D’où l’intérêt de suivre des cours de solfège et de s’essayer à un instrument harmonique (guitare, piano, accordéon…). Mais même sans l'oreille harmonique, on s'en sort. Il suffit de savoir que dans une grille, 1 case = 1 mesure.
Remarquez que sur l’exemple ci-dessus (partition tirée d’un concert avec beaucoup de titres à jouer et peu de temps pour les préparer), des annotations sont ajoutées en répétition. En effet, avec les grilles, il nous manque quand même pas mal d’infos rythmiques. Voici ce que j’ai ajouté comme ‘aide-mémoire’ dans cet exemple :
un groove de base pour le couplet, un autre pour le refrain
le type de baguettes à utiliser (1 balais et 1 baguette)
le style musical : "latino mais pas trop"
les figures d’ensemble (kicks) à jouer en intro / interludes et final
une mesure à ne pas rater ! (la mesure à 2/4)
un crescendo (nuance)
la respiration à la fin des refrains (blanche + demi-pause)
A noter :
Les grilles fonctionnent très bien avec des musiques cycliques : chanson, jazz, blues, folk... Elles sont moins pratiques dans les musiques aux formes plus évolutives et plus complexes.
5 - Le relevé personnel
Il arrive que pour préparer deux heures de concert avec quatre heures de répétition en tout, on me donne la liste des titres à jouer et… basta ! Car tout le monde sait que les batteurs sont les descendants de Merlin l’Enchanteur, et qu'ils ont hérité d'un pouvoir magique. Voici comment le batteur procède : juste avant la répétition, il verse un peu de poudre de Perlimpinpin sur ses baguettes et celles-ci se mettent à jouer d’elles-même !!! Le batteur, en réalité, n'a plus qu'à suivre le mouvement de ses baguettes. N'est-ce pas merveilleux ?
Ceci étant précisé, que faire quand on est en panne de poudre de Perlimpinpin ??? Se rabattre sur des partitions piano-voix de six pages ? Hors de question ! Non, dans ce cas il ne nous reste plus qu’à nous y coller et à faire la partition nous-même.
Le but d'un relevé personnel est de noter les informations dont on aura besoin au moment de jouer. Ni plus ni moins qu'un aide-mémoire. Mais attention ! Si on écrit trop d’infos, on sera trop absorbé dans la lecture et on risque de manquer de réactivité en jouant. Si on en écrit trop peu, on risque de livrer une interprétation approximative. Tout est donc une question de dosage. Ce qui est écrit sur un relevé est propre à chacun et dépend de la connaissance préalable qu’on a du morceau.
L’exemple ici est le relevé d’une chanson de Jean-Jacques Goldman : « A Nos Actes Manqués ». On peut remarquer – mise à part l’écriture de cochon que moi seul suis en mesure de déchiffrer – la présence de ces infos :
le tempo (si c’est le batteur qui doit faire démarrer le groupe, mieux vaut le connaître !)
la structure de la chanson (en colonne, à gauche)
pour chaque partie, les infos dont j’ai besoin :
le groove : les signes cabalistiques à côté de "C1" et de "chœur"
l'orchestration de la batterie : "HH" (= charley) ; cymbale ; cross-stick…
style de rythmique : "zouk" pour les couplets 2 et 3
les reprises : "x1", "x2"
le nombre de mesures à compter si la carrure est atypique (à la fin du 1er couplet)…
Les ratures et les rajouts – faits pendant la répétition avec le groupe - montrent que la version jouée en live est différente de la version qui m’a servie à faire ce relevé, ce qui arrive très souvent.
Et voilà pour le tour d'horizon de ce qu'on peut trouver sur le pupitre d'un batteur. Mais les batteurs n'ont pas toujours une partition sous les yeux. Pourquoi ça ?
Parce que certains ne sont pas assez riche pour se payer un pupitre ? Non.
Parce que certains batteurs ne savent pas lire ? Non.
Les batteurs aveugles ? Pfffff... NON !!!
Alors quoi ?...
C'est tout simple : dans certains cas, la partition est tout bonnement inutile.
Alors si vous voulez savoir pourquoi la partition est utile certaines fois et inutile d'autres fois, lisez l'article qui vous explique tout ça : Batteur en concert : partition ou pas ?
Les illustrations de cette page sont d'Albert, un dessinateur qui illustrait les articles des premiers numéros la revue "Batteur Magazine" - revue à laquelle je me suis très vite abonné - dans les années 80. Le tout premier numéro de ce magazine est paru exactement au moment où j'ai débuté mon apprentissage de la batterie, en septembre 1986 ! Il existe encore aujourd'hui.
Un grand merci à Albert pour ses supers dessins.
Merci à Christophe Basset (partition "Chez Soi") et à Jacques Petit (partition "La Samba de la Compile") de m'avoir autorisé à utiliser leurs créations pour illustrer cet article. Précieux amis, précieux collaborateurs.
(1) Catering : espace où l'on met à disposition des artistes et techniciens de quoi grignoter et boire avant et après le spectacle. (retour)
(2) Les "fills" (aussi appelés "breaks" en France par un abus de langage), sont de très courts solos de batterie qui servent à marquer une articulation, une transition dans un morceau. (retour)
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