Vous le savez maintenant, un des objectifs du Guide de l’élève est de vous donner des clés qui vous aideront à apprécier la musique que vous écoutez. Les playlists thématiques du Guide et quelques articles du blog vous proposent déjà à cet effet des écoutes commentées. En voici une nouvelle : cette fois-ci, ce n’est ni une sélection de titres sur un thème, ni une chanson seule. C’est un album entier.
Mais oui, vous savez, avant Youtube, iTunes ou Deezer, il existait ces espèces de galettes rondes, de formats et de couleurs changeantes selon les époques, qu'on appelait un disque. On y réunissait une série de chansons d’un même artiste, un album, donc. Et imaginez un peu cette idée totalement dingue : ce disque, il fallait l'acheter. Entre 10 et 15 euros pour une douzaine de chansons d'un seul et même artiste. Autant dire qu'une fois en notre possession, on le dégustait ce disque. On l'écoutait religieusement, on le disséquait, on lisait les notes de pochette : qui a composé, qui a joué, et sur quel titre, on admirait les photos et les illustrations qui stimulaient notre imagination. D'un autre côté, pas de coupure pub entre deux morceaux. Sans parler de la rémunération des artistes, qui était bien meilleure (même si elle était loin d'être équitable)... Mais là, je m'écarte de mon sujet.
Bref. Étant né au siècle dernier, j’ai pris l'habitude d'écouter des albums. Et j’aime ça, à condition qu'ils soient bons, bien sûr !
Et justement, un bon album, j’en ai un sous le coude. Il avait une place de choix dans ma playlist de cet été :
Qui est ce Taylor Hawkins, au juste ? C’est le batteur des Foo Fighters, célébrissime groupe de rock, formé sur les cendres encore fumantes de Nirvana dans les années 90. Foo Fighters, un groupe "à guitares", un rock énergique et mélodique, un alliage de gros son et de finesse dans l'écriture (songwriting, harmonies vocales, trouvailles rythmiques…), nombre de chansons "hymniques" propres à remplir et faire chanter des stades entiers, ce que le groupe fait régulièrement, sans se gêner.
Pour en revenir à Taylor Hawkins et ses Cavaliers en Queue de Pie, précisons que Hawkins prend ici le rôle de chanteur en plus de celui de batteur (1). Red Light Fever – le deuxième album du groupe sur les trois parus à ce jour – c'est le chaînon manquant entre les Foo et Queens Of The Stone Age (2), avec d’autres influences plus ou moins revendiquées. Pour la plus évidente : Queen. Les Coattail Riders ont d’ailleurs invité pour l’occasion deux membres du groupe mythique : Brian May (guitares) et Roger Taylor (le batteur de Queen mais qui, ici, participe aux chœurs uniquement).
Ce que j’apprécie particulièrement avec ce groupe, c’est d’entendre une musique produite par des musiciens de talent mais qui ne se prennent pas au sérieux, avec un penchant évident pour la surprise, les fausses pistes et les chausse-trappe.
Voilà pour la présentation de l’album. Passons maintenant à l’écoute commentée de cet opus, titre par titre. Des commentaires calibrés spécialement pour les batteurs, bien entendu ;-)
1. Not Bad Luck
Dès la première plage, les influences sont annoncées. Réunion de têtes couronnées : un shuffle et des guitares à la Queens Of The Sone Age, des chœurs à la Queen (tout court) dans les refrains.
Quelques idées rythmiques à remarquer dans ce titre :
Les pré-refrains (le premier à 0'39'') : trois mesures en half-time (à la blanche) suivies de deux mesures de crescendo pour amener le refrain.
Dans les refrains, puisqu'on en parle, notez la carrure de trois mesures : un nombre assez inhabituel - on rencontre bien plus souvent des carrures de quatre mesures - qui donne cette impression légèrement bancale.
Notez le changement de rythme pour la première partie du solo de guitare (2’12…) : on passe du ternaire au binaire !
2. Your Shoes
Première intro surprenante de l’album (et aussi très courte, à peine 4 secondes !) : la guitare solo joue un riff en trois temps dans une mesure et un tempo totalement différents de ce qui va suivre.
Et ce qui suit, justement : des couplets en 7/4 (7 temps par mesure), joués à la batterie comme une mesure à 4/4 (4 temps par mesure). Ce qui met en évidence une autre influence de Taylor : celle du batteur de jazz Joe Morello. (3)
3. Way Down
Un autre rythme shuffle (ternaire) en mid-tempo (tempo medium).
Des mesures à 4 temps, sauf dans les pré-refrains (le premier à 0’39) : carrures de [ 1 mesure à 7 temps + 2 mesures à 4 temps ].
Écoutez cette montée de guitares à 2’33’’ ponctuée par les chœurs “Way Down” : 100% Queen ! Brian May joue d'ailleurs sur ce titre.
Remarquez aussi ce fill / break (3’07’’) à l’unisson batterie + guitare, plutôt surprenant dans le contexte rythmique de cette chanson : il est interprété binaire ! (je vous rappelle qu’on est dans un shuffle : un rythme ternaire).
4. It’s Over
Alors là, on est en plein dans le genre de blague que j’affectionne tout particulièrement. L’intro de cette chanson est la plus déjantée que je connaisse, avec une incroyable succession de fausses pistes : une intro dans l’intro, … dans l’intro (!) Un peu comme des poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres : on croit en avoir fini mais il y en a toujours une de plus :D
Détaillons un peu tout ça :
De 0’00’’ à 0’25’’ : des phrases saccadées, entrecoupées de longs silences, jouées en parfaite homorythmie (tous les instruments jouent le même rythme en même temps) par la guitare, la basse et la batterie. Taylor Hawkins maintient la pulsation tout du long avec la pédale charleston : écoutez-là pour ne pas perdre la pulse !
De 0’25’’ à 0’52’’ : un tempo d’enfer arrive soudain à la batterie et aux congas, bientôt rejoints par guitare et basse. La mesure : du 15/8 ! (= 15 croches par mesure). Comptez 2 mesures à 4/4 mais retirez la dernière croche de la deuxième mesure et vous avez du 15/8.
Un bon exercice : essayez de compter sur ce passage.
« 1 2 3 4 1 2 3et4|1 2 3 4 1 2 3et4|1 2 3 4... » Comptez la partie soulignée à la croche, c’est-à-dire deux fois plus vite que le reste. Les chiffres en gras correspondent au rythme que joue la guitare, appuyez-vous sur elle pour réussir l’exercice !
De 0’52’’ à 0’59’’ : troisième partie de cette intro totalement barrée ! Cette fois-ci, le groupe se décide enfin à annoncer ce qui va suivre (c'est en principe le rôle d'une introduction). Nouveau tempo, bien plus posé que le précédent : le vrai tempo du morceau. Fin de l'intro à tiroirs.
La suite du morceau est plus convenue. A remarquer : on retrouve, dans les interludes, la phrase de guitare de la partie en 15/8 (1’32…, 2’12’’…, 2’52’’...) mais cette fois-ci jouée plus lentement et en 4/4.
Pour terminer la chanson, une outro (on dit aussi "coda") qui rappelle le début : le retour du 15/8 endiablé pour 3 mesures. Et c’est marre !
5. Hell To Pay
"Hell To Pay" calme un peu le jeu. Tempo assez lent, rythmique de batterie groovy jouée laid-back (détendu, fond de temps), basse qui serpente entre les backbeats (accents de caisse claire), arpèges (notes jouées une à une) de guitare. Avec une rythmique d’inspiration latino dans la deuxième partie des couplets (0’52’’…). Plutôt élégant, tout ça !
Mais le meilleur est à venir : le refrain, posé mais puissant, propose un beau contraste face aux couplets légers et groovy. Il se fait attendre car il n’arrive qu’à 2’11’’ pour une courte apparition, comme un teaser, puis revient en force (et en boucle) à 3’20’’ pour clore la chanson en apothéose. Mon titre préféré de l’album :-)
Voici la transcription des trois grooves des couplets :
6. Sunshine
Retour à une énergie plus rock avec "Sunshine". Un format court (la chanson est pliée en 3'30''), un tempo enlevé, une basse qui martèle les croches. Pour notre plus grand plaisir, Hawkins nous gratifie de nombreux fills à rallonge, déluges de double-croches sur la caisse claire et les toms. Des breaks sans fioritures, tout simplement ultra efficaces. Notez que ses fills se terminent systématiquement en syncope, sur le ‘et’ du 4ème temps, (juste avant le 1er temps, donc) : parfait dans ce style, ça crée une anticipation, une sensation d'urgence qui pousse l'ensemble vers l'avant et insuffle une belle énergie à la chanson.
7. Never Enough
Un titre à la structure linéaire, une ambiance apaisée. La rythmique de batterie est jouée exclusivement sur les toms dans certaines parties, donnant une couleur assez sombre au groove. Pas de charley ou de cymbale ride mais des percus (tambourin et maracas) pour équilibrer la sonorité globale en apportant un peu de brillance.
8. Hole In My Shoe
Le retour du shuffle ! Un titre qui oscille constamment entre des couplets en half-time (backbeat sur ‘3’ / balancement à la blanche) et des refrains en common-time (backbeats sur ‘2’ et ‘4’ / balancement à la noire). Le pont de la chanson (2'30''), quant à lui, mélange allègrement les deux types de balancement ! (Écoutez la caisse claire).
Une astuce de batteur à remarquer : dans le refrain final, le fill en croches binaires (à 3’16’’). Grâce au débit binaire de ce rythme dans un contexte ternaire, le fill est comme "surligné". Ici, il amène une variation du groove. En effet, Taylor joue à la blanche (half-time) pour quelques mesures avant de revenir au groove habituel du refrain : à la noire.
9. James Gang
Pas de commentaire pour celle-ci.
Si l’exercice vous tente, envoyez-moi le vôtre, je le lirai et le publierai, si vous êtes d'accord.
10. Don’t Have To Speak
Si vous aimez cette chanson, je vous conseille d’écouter aussi Paul Mc Cartney, vous ne serez sûrement pas déçu(e). Un hommage, j’ose espérer… Signalons la guitare de Brian May à nouveau dans ce titre (mini-solo à 1’30’’). Vous ne serez pas dépaysé(e) non plus si vous avez du Queen dans votre playlist.
11. I Can See It Now
Vous avez la parole…
12. I Don’t Think I Trust You Anymore
A vous de jouer…
Binaire ? Ternaire ? Tempo rapide, lent, medium ? Orchestration ? Forme ? Passage remarquable ? Rythmique ? Thème de la chanson ? Ambiance / atmosphère particulière ? Son ? Style ? Influences ?
Vous pouvez en trouver des choses à dire !... :-)
(1) Si vous vous demandez comment il s’en sort en concert pour assurer ces deux rôles simultanément, allez faire un tour par ici : live in Japan 2006
(2) Notamment pour le son des guitares et certaines rythmiques ‘shuffle’ (ternaire). Si vous ne connaissez pas les QOTSA, pas de honte à ça, mais jetez-vous sur leur album Songs For The Deaf, un incontournable du rock, avec l’ami Dave Grohl à la batterie.
(3) A ma connaissance, le premier batteur à s’être amusé de la sorte à superposer des mesures paires et impaires est Joe Morello au sein du Dave Brubeck Quartet, notamment dans l’album ‘Time Out’ (1959). C'est l’un des albums de jazz les plus vendus au monde, réputé pour ses expérimentations rythmiques. Écoutez par exemple ‘Kathy’s Waltz’ : Morello y joue une rythmique en 4 temps sur une mesure à 3 temps, une idée similaire à ce que fait Taylor Hawkins dans "Your Shoes". (retour à l'article)
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